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Dévoyage au bout de la nuit
C'est dans cette grotte que je me suis immiscé à la recherche d'une vie, animale ou végétale, dans ces milieux hostiles suintants l'humidité, toujours dans une obscurité totale où la température ne dépasse jamais les 14° en toutes saisons.
La vie en ces lieux reste un défit.
Aujourd'hui, le chant des oiseaux a remplacé le sifflement des obus... Mais pour combien de temps encore ?
Mais la creute* exsude et exsudera encore longtemps un passé qu'on voudrait qu'il n'ait jamais existé.
A l'entrée, plein de choix possibles dans ce dédale de galeries.
Plus on avance, plus ça devient compliqué
J'éteins ma lampe frontale... l'obscurité est absolue
L'instinct "petit poucet" devient vital : j'allume un petite bougie... Il me suffira pour sortir de suivre ces petits cailloux lumineux, jusqu'à retrouver la lumière du jour.
Chaque galerie rappelle qu'ici des hommes ont laissé leurs traces.
Savaient-ils qu'un jour je passerai par là, qu'ils partageraient avec moi, au travers de ces fresques, leur envie de vivre encore ?
Puis... Au fond d'une galerie, une chapelle incisée dans cette peau calcareuse... Avaient-ils si peur de mourir ?
La vie continue, elle ajoute ses traces à celles des des traces passées : Des lichens et l'eau qui suinte de ce plafond calcaire
... Et les racines de la forêt du dessus veulent aussi entrer....
Il faut être prudent, dans ces bois, car parfois ces trous (naturels ou creusés) sont obstrués par des branches et des feuilles qui se sont accumulées au fil des saisons et sur lesquelles il serait dangereux de marcher.
Seulement éclairé par ma lampe frontale, des petits taches noires attirent mon attention...
Elles sont là, j'étais venu pour les rencontrer...
Accrochée à ce clou, où peut être un poilu a suspendu ses vêtements humides
Je suis face au grand rhinolophe (Rhinolophus ferrumequinum) !
Il fait 15 cm. Il est impressionnant, je n'ose plus bouger ! Je suis figé avec mon appareil photo devenu inutile. C'est le plus grand des rhinolophes d'Europe. Il existe aussi le petit Rhinolophe, mais celui-ci, n'est pas plus grand qu'une petite boite d’allumettes.
On reconnait ces deux espèces au fait qu'elles sont suspendues par leurs pattes et que leurs ailes recouvrent intégralement leur face.
Leur nom de rhinolophe vient du fait qu'ils émettent des ultrasons par leur nez (contrairement aux autres espèces de chauves-souris).
Je le dérange avec ma lampe frontale, je suis presque gêné. Il écarte un peu ses ailes, je m'approche de lui, nos regards se croisent. Nous savons, peut-être, que nous n'avons rien à craindre l'un de l'autre. A cet instant, nous sommes tous deux, les troglodytes, d'une grotte en location, face à l'éternité géologique. Je m'approche encore de lui, il me permet quelques photos. Puis, il referme lentement ses ailes et se rendort.
Je m'excuse, le remercie et le salue. Il est temps pour moi de rebrousser chemin et retrouver la lumière de ce printemps précoce... Et pour lui, d'attendre la douceur de la nuit du dehors.
Petit poucet averti, je suis la lumière que j'ai semée sur mon chemin, jusqu'au moment où la terre redevient celle que je connais.
Et... éblouissante et régénérante : la lumière du jour !
Je me souviendrai longtemps de ce moment
Un trou dans l'espace et dans le temps
Un trou par lequel l'histoire d'un passé a transpiré quelques instants
Dans la clarté d'une vie
D'ici et de maintenant...
* Nombreuses dans les départements de l’Oise et de l’Aisne, en raison des décrochements calcaires présents dans ces régions, ces carrières de pierres exploitées au XIXe siècle font l’objet, durant la 1ere guerre mondiale, d’aménagements en infrastructures, qui transforment leur dédale de galeries en de véritables petites villes souterraines : des dortoirs pour les troupes, des chambres pour les officiers, des cuisines, des postes de secours, ou encore des postes de commandement qui sont construites dans les souterrains proches de la ligne de feu, procurant ainsi aux combattants des lieux un peu de répit et le repos nécessaire, avant...
Ces carrières, appelées aussi "creutes" (du nom de crypte) ont des superficies variables pouvant aller de quelques ares à quelques dizaines d’hectares. Certaines d’entre elles possèdent plusieurs kilomètres de galeries et sont de véritables labyrinthes.
La pierre calcaire extraite servait à la construction qui fait aujourd'hui le style des maisons de la région.
A la fin de la guerre, et encore de nos jours, pour certaines d'entre elles, elles sont devenues des champignonnières (champignons de Paris). D'autres, pour la plupart, sont laissées à l'abandon et servent de refuge à une faune et une flore bien particulières.